Revue T.E.S.S. n° 9 – mai 2004
Nous ne traiterons pas ici de l’aspect juridique (ex : délégation de signature) mais de sa dimension managériale, c’est-à-dire de celle dont on parle souvent et qu’on formalise rarement… Combien de collaborateurs en effet bénéficient d’une véritable délégation ?
Eliminons tout d’abord les contre-exemples. Dans les pires cas en effet, le hiérarchique se débarrasse d’une responsabilité qu’il transfère brutalement selon trois variantes :
- ça doit fonctionner en silence, il ne veut plus en entendre parler … (il s’agit en fait d’un abandon, le supérieur considérant l’inférieur (sic) comme une poubelle qui doit rester étanche).
- des échos positifs remontent à la direction, il claironne alors sa clairvoyance… (rapt indélicat du bénéfice au détriment du producteur)
- dans le cas contraire ou des problèmes surgissent voire un échec survient, il accuse ostensiblement le malheureux d’incompétence… (cas du petit chef qui agresse l’agent au lieu de lui apporter le soutien nécessaire).
A l’opposé de ces caricatures, dans le meilleur des cas, il s’applique à faire vivre le processus de délégation comme un cycle ou plutôt comme une spirale centrifuge. Une délégation réussie gratifie en effet le délégataire d’une possibilité d’extension de son champ d’autonomie et donc le plus souvent de l’intérêt qu’il retire de son travail.
Et s’il advenait que le cycle de délégation s’avère insatisfaisant ou même échoue, la spirale devrait alors au contraire se resserrer (mouvement centripète) jusqu’à faire coïncider le champ d’autonomie confié et les conditions d’exercice (compétences, énergies, moyens, délais, etc.).
Quelles sont les principales étapes d’une délégation complète ?
Quatre séquences fondamentales que nous pouvons distinguer comme suit :
Tout d’abord, la phase de préparation pendant laquelle le responsable se pose quatre questions : qu’est-ce que je vais confier, à qui ? comment ? pendant combien de temps ?
Cette réflexion exige une sérénité peu compatible avec la dictature de l’urgence qu’ont intériorisé la plupart des cadres. Ils contribuent en effet souvent à la frénésie activiste (« nez-dans-le-guidon » qu’ils dénoncent par ailleurs…
A noter qu’un manager qui prend son poste devrait se poser la question inverse : qu’est-ce que je ne veux pas confier ? quel est le cœur de la valeur ajoutée de mon poste ? Pour tout le reste, le principe qui doit le guider repose sur l’organisation, le suivi, l’actualisation de délégations. C’est bien à l’encadrant qu’incombe en effet la responsabilité de créer, d’animer, de faire vivre le partage des missions dévolues à son secteur de responsabilité.
Ensuite la phase de communication. Il est capital à ce stade de préciser clairement au collaborateur le champ de responsabilité qu’on entend lui confier et de convenir des modalités de transfert d’une partie de la responsabilité (le délégant demeure responsable in fine, il n’abandonne pas sa responsabilité). Compte tenu de la diversité des représentations des situations de travail, il importe de vérifier la compréhension et de ne pas se limiter à délivrer une simple information (dans communication, il y a la racine « co », c’est-à-dire avec…).
Un échange est donc nécessaire pour clarifier, délimiter, et surtout préciser les modalités du reporting (action de rendre compte). Point sensible qui vide de substance la délégation s’il est oublié car c’est cette relation qui doit nourrir le délégant tout au long de son exercice. Il est évident qu’une absence de négociation à ce stade (objectifs / moyens / délais…) évacuerait la notion de délégation en substituant une relation de commandement traditionnel.
Ce dialogue se conclut donc par un accord traduisant l’engagement réciproque des deux parties. Il est formalisé par une lettre de mission, au minimum un compte-rendu d’entretien, ou bien encore une actualisation de la fiche de poste, voire une signature de contrat suivant l’enjeu et la durée de la délégation.
Nous arrivons alors dans la phase d’exercice de la délégation, de plein exercice… Nous observons encore trop souvent des cadres intervenir dans la manière de faire, dans les détails alors qu’après avoir fixé le cadre, ils doivent juger seulement les résultats ! La seule raison d’ingérence acceptable serait légitimée par une carence manifeste du collaborateur (ex : non-respect d’une règle professionnelle ou déontologique).
C’est donc le lieu de frustration du délégant puisqu’il peut être tenté souvent d’intervenir au motif de « je n’aurais pas fait comme ça… »(refrain connu).
Alors qu’un délégataire mis en confiance par la clarté du contrat, va déployer toute son énergie pour atteindre les résultats attendus avec parfois des chemins inédits, créatifs. Il convient ici de rappeler que la motivation du sujet croît avec la surface de la zone d’incertitude… Combien d’opérateurs sont encore taylorisés, transformés en simples exécutants, dépourvus de toute possibilité d’initiatives ? Hervé Seryiex dénonce depuis longtemps le formidable gâchis humain d’une réduction de l’homme à la répétition machinale d’une série de gestes prescrits et très délimités.
Nourri par les retours d’information réguliers de son collaborateur (modalités de reporting convenues nous l’avons vu plus haut dès la phase de la négociation), le manageur peut maintenant se préparer à la phase suivante.
La phase d’évaluation clôt le cycle de la délégation. C’est à ce stade, après plusieurs mois en général, jamais plus d’une année, qu’il va décider de l’orientation de la spirale comme nous l’avons vu en préambule :
vers un renouvellement et un élargissement en cas d’évaluation réciproque positive : cette reconnaissance de la compétence et de la motivation du collaborateur gagne à s’inscrire dans un parcours de promotion professionnelle autorisant la révélation du potentiel …mais aussi, régulièrement, celle du pouvoir d’achat de l’intéressé (promotion ?)
vers un rétrécissement en cas contraire avec une fixation d’objectifs de progrès pour mieux assumer le plein exercice de la délégation. Il ne s’agit pas d’écraser en effet la personne sous le poids de responsabilités trop lourdes à porter pour elles à son stade actuel de développement mais bien de l’aider à prendre confiance en elle par la valorisation d’une progression de compétences adaptée et reconnue. Le retrait total de délégation constituerait un lourd désaveu motivé par le manque de loyauté ou un déficit patent de compétences.
La délégation apparaît donc comme le challenge central du management d’une équipe. En résumé, il s’agit pour nous d’éviter le syndrome de l’encadrant-pompier, toujours au feu, (ce qui peut-être gratifiant même si l’on se plaint de la charge de travail…). pour développer au contraire notre capacité d’animation, d’anticipation, pour organiser notre disponibilité et contribuer activement au développement professionnel des personnes qui nous sont confiées.
Un petit test permet d’approcher visuellement la question de la délégation même si d’autres paramètres peuvent intervenir : comment est encombré votre bureau ? est-ce que vous êtes en train de faire, c’est bien à vous de le faire ?
D’accord, ce n’est pas si simple mais combien de cadres croient encore que l’importance de leur responsabilité est proportionnelle à la hauteur des piles de dossiers qui s’accumulent sur leur bureau ?…
[/Henri Pérouze/]