Revue Le Croquant n° 47-48 – septembre 2005
Dans quelques mois (1er janvier 2006) la LOLF (Loi Organique Relative aux Lois de Finances) va entrer en application obligatoire. Il s’agit d’une véritable refonte de la gestion des budgets de l’Etat qui doit principalement renforcer le rôle du parlement, définir les politiques publiques et les décliner en missions, programmes et actions. A partir de septembre 2005, le projet de loi des finances présentera avec chaque programme un projet annuel de performance précisant les objectifs, les résultats attendus, les indicateurs de mesure des résultats associés et les moyens mis en œuvre. Dès 2006, le rapport annuel de performance devrait permettre de mesurer les résultats obtenus par chaque programme. Un nouveau référentiel comptable rapprochera la comptabilité de l’Etat du modèle de la comptabilité d’entreprise (suppression des titres et chapitres, prise en compte des actifs patrimoniaux et de la pluri-annualité, etc.).
C’est donc la fin d’une gestion rigide et parfois bornée qui contraignait par exemple à accélérer les consommations en fin d’année afin de pouvoir solliciter le renouvellement de la ligne de crédit correspondante… C’est surtout une formidable opportunité de repenser l’action publique, d’évaluer son efficacité et de soumettre son contrôle aux représentants des citoyens.
Mais alors, pourquoi un silence aussi assourdissant ? Pourquoi une telle discrétion de ce qui devrait être une grande réforme, voire une révolution dans les trois fonctions publiques ? En effet, même si les associations et les collectivités territoriales ne sont pas directement concernées par cette mutation du mode de gestion de l’Etat, elles ne peuvent se désintéresser des impacts du changement de posture de leur principal « partenaire » dans la mesure où désormais l’affectation des crédits ne devra plus se reconduire ou s’engager en dehors de programmes pourvus d’indicateurs de résultats.
Plusieurs hypothèses sont possibles, voire cumulables : la première réside peut-être dans l’ampleur de la réforme. Elle nécessite un tel investissement d’énergie qui ne laisse pas de place à la médiatisation. Il est vrai que certains ministères sont déjà bien engagés dans l’anticipation des bouleversements à venir et que, par exemple, la simple adaptation des systèmes d’information et de gestion exige beaucoup d’imagination et d’investissement.
La deuxième hypothèse peut expliquer le déficit de communication par la non prise en compte, une fois de plus, de la pédagogie d’une réforme qui risque de laisser des agents à nouveau dubitatifs sinon démotivés devant un changement dont ils ne comprennent ni le sens pour leur travail ni la portée pour les citoyens. Incompétence de l’encadrement mal préparé, absence de moyens, mépris des personnels « d’exécution », arrogance des décideurs, le cocktail des causes est à doser suivant les cas.
Une troisième raison réside vraisemblablement dans la réduction de l’ambition au profit d’une simple adaptation des modalités de gestion : au lieu de s’atteler au formidable chantier que constitue l’action de penser l’action publique et de mesurer son impact, certaines directions ont simplement entrepris un toilettage de leur comptabilité pour être en mesure de faire apparaître leur budget sous les nouvelles formes.
Le développement spectaculaire des contrôleurs de gestion dans certains ministères laisse planer ce risque de voir la forme l’emporter sur le fond.
J’espère surtout que le silence médiatique qui entoure la LOLF ne masque pas la reconnaissance de la difficulté qu’aura la représentation nationale à jouer le rôle prévu c’est à dire exprimer son point de vue sur les choix politiques que recouvrent les affectations budgétaires et sur le contrôle des résultats. Quels sont les moyens prévus à l’assemblée nationale et au sénat pour être bientôt en mesure d’examiner sereinement chaque année le projet de loi de finances dans sa nouvelle présentation puis d’analyser les écarts entre les objectifs affichés dans chaque programme et les résultats obtenus ?
Comment les services de la fonction publique de l’Etat s’engagent dans l’élaboration des programmes en revisitant leurs finalités, leurs objectifs ? Quels dispositifs de mesure sont-ils en train de concevoir pour évaluer le résultat de chaque politique publique qu’ils sont censés mettre en œuvre ? Autant de questions qu’un citoyen peut et doit se poser et à fortiori tous les fonctionnaires concernés. Il est vrai qu’on peut aller chercher de l’information au sein même de directions centrales mais combien d’entre-vous visitent régulièrement les pages http://www.minefi.gouv.fr/lolf/index1.html pour suivre l’évolution globale de ce grand chantier ?
Au cours de ces dernières décennies, nous avons trop subi de pseudo réformes pour ne pas être inquiets sur les risques de dérives des initiatives même et surtout lorsqu’elles reposent sur de bonnes idées… Nous avons aussi besoin d’être rassuré, à l’heure où la partie III du Traité Constitutionnel Européen soulève des interrogations quant à l’avenir des services publics non marchands.
La LOLF va-t-elle contribuer à conforter en l’améliorant (transparence, optimisation, légitimité des missions) un mode de développement et d’exercice de l’action publique que beaucoup de pays nous envient ou sera-t-elle dévoyée par la fièvre gestionnaire bornée d’une économie qui oublie ses finalités humaines dans la compilation de ratios seulement quantitatifs et dont la précision des chiffres masque le flou des volontés ?
[/Henri Pérouze
Conseil de direction
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