La Lettre du cadre territorial n°271 – mars 2004
La diversité des organisations exigerait des générations de botanistes pour inventorier et classer la diversité des formes et des modes de vie. Dans le secteur marchand traditionnel, si l’étude des relations propriétaires / salariés recouvre déjà de nombreuses espèces, le champ des relations quotidiennes internes à l’organisation se réduit pour l’essentiel aux jeux de positionnements entre salariés.
Ce n’est pas le cas dans les associations, les services publics, les organisations coopératives ou mutualistes. La diversité des collectivités fait apparaître en effet une gamme de postures très différentes de leurs dirigeants que l’on retrouve curieusement dans les deux statuts d’administrateur ou de salarié.
A titre d’exemple, les figures du despotisme ou du paternalisme côtoient souvent celles de la soumission servile ou de la manipulation affective…
Entre ces exemples extrêmes, nous pouvons observer une galerie de portraits dans lesquels le lecteur attentif peut positionner les acteurs de son environnement à commencer par lui-même…
Une simple matrice permet déjà d’identifier quatre positions à partir de deux axes : directivité/non-directivité et fond/forme. Le fond caractérise ici les orientations, les décisions et tout ce qui touche aux buts, à la stratégie, aux résultats de la structure. La forme doit être comprise comme l’organisation du travail, les méthodes, les procédures et tout ce qui se rapporte à la mise en œuvre des moyens.
Premier cas de figure : la posture caricaturale du dictateur, complètement directif pour imposer sa position et n’autorisant aucune contestation dans sa chasse gardée. Lorsqu’il est élu il s’entoure de collaborateurs dociles, de vassaux ou peut-être considéré comme une potiche complaisante dans l’autre cas. Les notions de confrontation, de synergie de coopération leur sont étrangères et l’on peut alors s’interroger sur le statut réel de la collectivité (cf. la dérive de certaines « associations lucratives sans but »). J’ai des noms mais je ne dirais rien sans la présence de mon avocat.
Deuxième cas de figure : le manipulateur sournois (pléonasme volontaire). En effet, son apparente non-directivité formelle masque une réelle détermination quant aux évolutions ou à l’immobilisme souhaité. Il peut donner l’illusion du débat mais son idée est déjà faite. Il va instrumenter les personnes qui l’entourent pour parvenir à ses fins tout en donnant l’illusion qu’ils disposent d’une marge de manœuvre. Parfois même, il crée un espace de laisser-faire dans lequel vont s’enliser les personnes lui permettant d’apparaître –in fine- comme un sauveur. L’observation de la vie politique et du fonctionnement des administrations fournit encore souvent de remarquables illustrations mais c’est un autre débat.
Troisième cas : le légume (correspondant au stade fœtal dans le règne animal) -c’est-à dire la dépendance totale envers l’autre- appelle ou répond souvent à la montée en puissance du premier cas évoqué ci-dessus. Pas de velléité exprimée ni sur les destinations ni sur les chemins ne peut conduire en effet qu’à se soumettre à un guide ou moisir dans le fossé après avoir tourné en rond. Certaines rentes de situation protègent encore ce fonctionnement au sens mécanique de la simple reproduction des routines.
L’acception péjorative du mot fonctionnaire ne découle en rien des statuts des agents des trois fonctions publiques mais bien de cette réduction de la dynamique humaine au rang de la machine qui se contente de fonctionner selon sa programmation originelle. J’en connais même qui ne fonctionne plus et qu’on conserve aux frais du contribuable ou de l’adhérent. Je n’emploie pas l’expression végéter pour ne pas insulter le règne des plantes qui –elles au moins- s’épanouissent avant de disparaître.
Quatrième cas : le faciliteur qui n’intervient pas sur le fond mais met tout en œuvre pour que le collectif dont il a la responsabilité accouche de décisions consensuelles, réalistes ou les mettent en œuvre de manière efficiente. Evidemment, il concentre son énergie sur les processus, la régulation des échanges, les méthodes, le climat de travail, le développement des compétences. C’est un accoucheur qui ne se substitue pas à la parturiente. Il est courant de rencontrer des managers dans ce rôle de maître d’oeuvre lorsque l’autorité politique assume sa fonction stratégique. Il est plus rare d’observer des maires ou des présidents dans cette posture d’animation active mais certains élus exceptionnels la pratiquent au grand bonheur de leurs équipes et de leurs collaborateurs qui peuvent alors déployer leurs énergies et leurs talents. Bon, d’accord, c’est trop beau et puis si la décision peut se préparer à plusieurs, il n’y en a qu’un qui doit décider formellement. Et puis, il faut que les autres aient des idées.
Entre ces quatre positions extrêmes, la recherche typologique peut s’affiner bien sûr. Des combinaisons peuvent même apparaître en fonction de personnalités complexes ou de pulsions cycliques…Le rappel du « triangle dramatique » (refuser le jeu des positions persécuteur /victime / sauveteur) peut apporter ici quelques éclairages complémentaires.
Dans tous les cas, il est important de situer sa tendance naturelle, de positionner celle de son principal interlocuteur puis de définir une tactique parmi les trois plus couramment pratiquées : soit un changement de posture personnelle qui oblige l’autre à dévoiler ou modifier son jeu, soit un désir de changement qui attend que l’autre bouge d’abord…, ou enfin une résignation classique dans l’attente par exemple des prochaines élections. Ne pas plaindre ceux qui se plaignent de certaines situations mais qui demeurent sur place : malgré leurs dénégations, ils jouissent des bénéfices secondaires que la situation leur procure (syndrome du vieux couple).
Conclusion : de l’opposition frontale à la grande synergie, quel type de relation avez-vous mis en place avec votre maire, votre président ou votre directeur ?
[/Henri Pérouze/]