On l’oublie parfois, mais aucun projet d’administration, aucune organisation de travail ne réussira sans un management de qualité. Et c’est là qu’intervient le facteur humain. Car cette qualité est impossible en présence de certaines personnalités perverses ou inconscientes… et même trop empathiques.
L’abondance de la littérature managériale ne peut masquer l’écart spectaculaire avec la réalité de bon nombre de pratiques. De trop nombreuses collectivités considèrent encore le management comme secondaire par rapport aux enjeux de gestion et d’organisation des services. Plusieurs causes alimentent la persistance du phénomène.
Trois causes pour une dérive
La première explication repose sur le primat renforcé de la culture technique malgré les dégâts observés par cette appréhension simpliste de la réalité. Quelle est encore aujourd’hui la part réservée aux sciences humaines dans les programmes de formation des écoles d’ingénieurs ?Nombreux sont ceux qui pensent toujours que les progrès scientifiques repousseront les limites du développement alors que nous savons depuis Albert Einstein qu’« on ne règle pas un problème en utilisant le système de pensée qui l’a engendré ». À titre d’exemple, le gigantesque projet ITER que nous finançons constitue une fuite en avant dans les risques nucléaires.
Une des raisons à ce mépris de la dimension relationnelle s’enracine dans le besoin fondamental de sécurité de tout être humain.
La deuxième raison à ce mépris de la dimension relationnelle s’enracine dans le besoin fondamental de sécurité de tout être humain. Les sociétés traditionnelles offraient des repères stables pour colmater en partie l’angoisse originelle des êtres pensants.Nous sommes entrés dans une période de l’histoire humaine où les évolutions s’accélèrent et bouleversent nos repères. Il est alors tentant de rechercher l’illusion d’une stabilité dans un incessant effort de rationalisation des organisations, d’où le développement effréné des démarches normatives, procédurières, des changements d’organigrammes, de structures, etc.Il faut maintenant aborder une troisième cause : le déficit d’évaluation propre à notre culture activiste. Parler, faire, s’agiter sont beaucoup plus valorisés que s’arrêter, réfléchir, mesurer l’écart entre nos objectifs et nos résultats… et le communiquer ! Combien d’électeurs comparent le bilan de mandat avec les promesses du programme électoral ? Les rares dirigeants publics qui mettent en œuvre de véritables démarches d’évaluation voient apparaître le facteur humain comme déterminant de la réussite ou de l’échec de bon nombre de projets.
La qualité du management détermine tout
Le facteur humain exige de mettre davantage en exergue la différence entre le fonctionnement réel et le fonctionnement prescrit des hommes au travail. Des chercheurs comme Philippe Bernoux ((« Sociologie du changement dans les entreprises et les organisations », Philippe Bernoux, éditions Seuil.)) ont bien mis en évidence ce qui caractérise un véritable collectif de travail, notamment l’enjeu des liens de confiance qui favorisent l’autonomie et la reconnaissance des sujets – à l’opposé d’une organisation mécaniste, isolant des individus submergés par des injonctions contradictoires.Les diagnostics que nous réalisons actuellement dans des collectivités de taille diverses font apparaître la persistance d’un formidable gaspillage humain dans plusieurs secteurs d’activité des services publics.C’est donc bien la qualité du management qui détermine d’abord l’efficacité des équipes au travail avant même la dimension pécuniaire ou les conditions de travail. Cela confère une très forte responsabilité aux managers. Quel que soit leur niveau hiérarchique, comment se comportent-ils au quotidien envers ceux dont ils ont la charge ?
De la perversité…
Observons ces managers qui instrumentalisent leurs collaborateurs sans états d’âme. Ils les utilisent, les manipulent, les commandent en les considérant simplement comme des objets au service de leurs propres aspirations. Encore heureux quand il ne s’agit que de renforcer leur pouvoir ou leur image… (exit les dirigeants qui abusent de leur statut pour tenter de satisfaire d’autres types de pulsions comme par exemple l’ancestral « droit de cuissage » ou la prise illégale d’intérêts !).
Observons ces managers qui instrumentalisent leurs collaborateurs sans états d’âme, qui les utilisent, les manipulent…
Ils sont facilement repérables à leur mode de relation dénué d’attention à l’autre, refusant sa qualité de réflexion, d’émotion, de volonté propre. Refus de l’altérité, cette négation du sujet se maintient par diverses stratégies utilisant tantôt la force, la peur, le prétexte de l’urgence, tantôt la ruse, le bluff, le mensonge ou encore la séduction, le charisme.À l’instar des dictateurs, ils s’enfoncent dans une spirale où ils doivent de plus en plus utiliser leurs pouvoirs (prérogatives du statut) pour tenter de compenser l’affaiblissement de leur autorité naturelle, celle qui émane de la personnalité. Arguant parfois de réalisme ((« Le réalisme, c’est précisément le bon sens des salauds », Georges Bernanos.)) ou manipulant ouvertement avec cynisme, ils constituent de parfaits contre-exemples dans nos collectivités confrontées aux enjeux de solidarité et de challenges collectifs à relever.
De l’inconscience…
Le cas du management inconscient s’avère le plus fréquent : l’origine en est souvent d’une part la cécité relationnelle de la formation initiale des managers et d’autre part le mode de promotion majoritairement dépendant encore aujourd’hui de la compétence technique.
Le cas du management inconscient s’avère le plus fréquent.
S’occuper des membres de son équipe apparaît alors comme une contrainte au détriment des charges de travail plus nobles de la compétence d’origine. Autant il convient de conserver cette compétence en se réservant certains dossiers sensibles pour conserver une connaissance (et une crédibilité dans l’équipe) autant lui accorder encore plus de la moitié de son temps interdit l’exercice du soutien et du contrôle individuel et collectif qu’exige la fonction hiérarchique. Refuser de prendre en compte les besoins individuels et collectifs des membres de son équipe constitue un gâchis des potentiels de compétences, d’innovation et fait le lit de la bureaucratie gestionnaire dont nous souffrons ((« Ce qui tue le travail », Francis Ginsbourger, éditions Michalon, 2010.)).Cette inconscience de l’enjeu relationnel n’est souvent que le reflet de la méconnaissance de son propre fonctionnement. Comment pourrais-je en effet être attentif à ce que les autres ressentent, souhaitent si je ferme la porte à la perception de mes propres émotions, de mes peurs, de mes désirs ? Comment prétendre comprendre les autres quand on est encore aveugle sur son propre fonctionnement psychique et affectif ?
De l’empathie…
Le management empathique est plus rare. Il faut en effet reconnaître la place des émotions (à commencer par celles des managers…) dans les relations humaines, tout en assumant le rôle de garant des résultats attendus.Il ne s’agit pas en effet de transformer le service ou la direction en un club de vacances, mais d’assurer une qualité de prestation, un niveau de performance par la reconnaissance de la légitimité des cinq logiques : les sources de motivation individuelle au travail et notamment le besoin d’appropriation, d’autonomie/les conditions de travail de l’équipe/les besoins et attentes des bénéficiaires/la commande politique des élus/le respect des contraintes techniques, budgétaires et réglementaires.
Le management empathique est à l’écoute de la multiplicité des besoins.
Le management empathique est à l’écoute de cette multiplicité de besoins. Il reconnaît leurs tensions, et associe autant que faire se peut tous les interlocuteurs à la résolution des antagonismes. Compréhension fine des enjeux, respect de toutes les parties prenantes, mise en synergie des différences, croyance dans le potentiel humain caractérisent ce type de dirigeant. Le manager empathique considère la controverse ((« Clés pour un monde meilleur, Communication non violente et changement social », Marshall Rosenberg, éditions Jouvence, 2009.)) comme une source d’enrichissement mutuel et parie sur l’intelligence collective pour rechercher le meilleur compromis.Disponibilité, discernement, vigilance et travail sur soi pour ne pas envahir l’autre constituent les qualités de la personnalité empathique. Combien refusent d’écouter de peur d’avoir à dire calmement non ? Il nous faut beaucoup d’entraînement et de courage pour pouvoir se représenter ce que l’autre ressent sans pour autant verser dans la démagogie ou le laxisme.
Pour aller plus loin “Le management par projet – Levier de changement pour le secteur public territorial”, un ouvrage de la collection Dossiers d’Experts des éditions Territorial. Sommaire, commande ou téléchargement sur http://www.territorial.fr/42-librairie-des-professionnels-territoriaux.htm.
À propos de l’auteur Henri Pérouze a développé plusieurs entreprises de formation et de conseil. PDG de Pérouze conseil SA, coauteur de « Conduire un projet dans les services » aux Éditions Chronique sociale (5e édition en 2008), il a publié de nombreux articles sur le management et l’organisation des administrations françaises. Militant associatif de longue date, persuadé des enjeux de régulation sociétale par la puissance publique, il revendique l’engagement citoyen dans le processus démocratique.